Critique de Katia Berger – Tribune de Genève

Patrick Mohr transcende son théâtre de l’astuce 
par Katia Berger – La Tribune de Genève, 7 octobre 2016


Le Genevois crée «Les Diablogues» de Dubillard au Crève-Cœur. Décidément, la «petite forme» lui convient.

Deux instances rivalisent en Patrick Mohr: le tribun et le poète. Le premier voit loin et large – on lui doit des fresques telles que Soundjata, Les larmes des hommes ou Eldorado. Le second soutient des gageures a priori plus modestes, telles que Le Dehors et le dedans, Je suis un renifleur essentiel ou La nuit remue. L’alternance pratiquée par le metteur en scène enchante les adeptes tour à tour du magistrat et de l’orfèvre.

Sur le plateau intimiste du Crève-Cœur, dont il se trouve que la programmation privilégie justement cette année les duos, Mohr n’a besoin que de trois bouts de ficelle pour exalter la savoureuse langue de Roland Dubillard, à mi-chemin de Fernand Raynaud et Raymond Devos, dans ses Diablogues de 1975. Trois bouts de ficelle, un bol à ras bord d’inventivité scénique, ainsi qu’un tandem de comédiens tout bonnement hors pair dans cette suite de saynètes beckettiennes.

Dans le rôle de Un, Mathieu Delmonte croise Michel Serrault et Bernard Blier, tantôt en caleçon long ou en costard mal défraîchi, enchaînant des airs ahuris à des arguties incohérentes. Dans celui – parfaitement interchangeable – de Deux, Diego Todeschini hybride Vincent Lindon et Silvester Stallone, troquant slip de coton contre costard mal défraîchi bis, et alignant derrière les moues de bébé les raisonnements absurdes.

Ensemble, ils forment le recto et le verso d’un seul et même épigramme, les voyelles et les consonnes d’un seul et même iambe. Quant à Patrick Mohr, il accomplit le prodige de transcender sur le billard le verbe par le jeu – et par là de rattraper ses occasionnels débordements d’orateur.

Les Diablogues Théâtre Le Crève-Cœur, jusqu’au 23 oct., 022 550 18 45, www.lecrevecoeur.ch (TDG)